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Ce sont des citadins empruntant les chemins broussailleux de l’enfance, en quête de traces et de sens. Retour sur les collines des ancêtres, souvenirs rassemblés, gestes et ciel retrouvés. Le photographe Sofiane Bakouri les accompagne dans cette remontée, patiente à la base. Nous les suivons. Ce feu qui crépite dans l’âtre rallume d’abord au fond de vous une mémoire olfactive. Bois brûlé des sarments et des brindilles d’agrume, de lentisque et d’olivier, tranquille et lente respiration du maquis. Goûtez la saveur caverneuse de l’eau de source tenue fraîche au fond des amphores. Sentez les dernières effluves humides et minérales du feu éteint ; la glaise que l’on pétrit, façonne et cuit ; l’herbe fraîchement fauchée pour les bêtes ; les exhalaisons aigres-douces de la paille qui sèche au grand soleil de midi ; les vapeurs de terre chaude que font monter les averses d’orage, quand s’éteint l’été ; les pluies de cendre, dernier souffle des forêts calcinées. Au flanc des montagnes, parpaings et béton ont depuis longtemps gagné la partie contre la chaux, la pierre sèche, le pisé. De ruine et d’abandon, axxam, la maison d’antan, s’effondre sur ses niches, ses mezzanines, ses fenêtres en œil de bœuf où nichent les hirondelles, ses charpentes de bois et de roseaux, ses fresques de cinabre et d’agsou. Que lègue ce monde englouti, quand les mirages des villes tentaculaires et d’une certaine modernité conquièrent les cœurs, font tourner les têtes, imposent leurs macabres modes de vies ? Le voilà, cet ancien monde, dans les rides de cette aïeule à la tête encore pleine d’isefra, de récits de résistance, de contes qui vous emmènent par-delà les sept mers. Guettez-le encore dans le sourire espiègle de ce berger que ses bêtes arriment encore au rythme de la vie paysanne. Il affleure dans les métaphores de ce peuple de montagnards à la langue tramée de poésie. Il reste dans le sens du commun que forgent les travaux de la terre, sur le seuil de cette porte toujours ouverte à l’étranger de passage ; il s’ancre sur ces crêtes où résonnent toujours une antique aspiration à vivre libres : « tilleli ! » ; il survit dans les liens fragiles menacés par les fracas d’un monde qui ne jure que par l’oubli, le soi-même, le profit. Dans la tradition, dans l’héritage des temps passés, il faut savoir séparer le bon grain et l’ivraie. Sauver les liens qui libèrent, trancher ceux qui oppriment. Sous la voûte étoilée, dans la pénombre de cette veillée au coin du feu, c’est à cette œuvre d’authentique civilisation que Sofiane Bakouri et ses citadins montagnards nous invitent. Texte de la Journaliste de L'HUMANITE Rosa MOUSSAOUI